La popularité des raisonnements très subtils sur l’actualité du Christianisme, de l’Islam, du monothéisme, bref des croyances religieuses, dans les discours contemporains de l’Art, de la philosophie, de la théorie politique, est si évidente, qu’on ne peut s’empêcher de croire que ces raisonnements ne sont pas dépourvus de raison. L’ensemble des opinions compétentes atteint sa masse critique et forme une sorte de continuité discursive favorisant une rencontre entre la pensée progressiste et l’idéologie conservatrice, où la pathétique affirmation religieuse représentée comme politique va sans dire.

Ainsi, le communisme peut être légèrement comparé au christianisme antique, le marxisme au messianisme judaïque, le mouvement altermondialiste à l’islamisme de gauche. Mais il est trop facile d’identifier pratiques religieuses et politiques, et de les réduire l’une à l’autre. J’avoue que je ne partage pas cet état d’esprit, restant fidèle au mot de Marx, selon lequel la religion est l’opium du peuple.

Bien sûr, on peut dire qu’il faut faire la distinction entre une religion comme institution répressive,c’est-à-dire l’Église, et la croyance comme geste subjectif de fidélité, de foi, ou de manifestation de la vérité dans un monde noyé dans le mensonge. On peut dire aussi qu’en ce sens la relation entre la croyance authentique et la religion instituée ressemble à la relation entre la politique comme domaine universel des activités humaines et le pouvoir comme appareil réprimant ces activités. Aussi bien l’Église que le pouvoir ont affaire aux icônes, aux représentations et symboles figés du sacré, tandis que la croyance et la politique existent comme des mouvements et des potentialités, qui peuvent être saisies et utilisées par le pouvoir pour alimenter sa force.

Pourtant, il n’y a pas de symétrie entre la croyance et la politique, et la différence essentielle a plus d’importance que la ressemblance formelle. La croyance exige le rite, ou la répétition rythmique de l’acte de foi. Grâce au rythme du rite, la croyance religieuse se maintient dans le corps humain : la foi du Chrétien est la Grâce, elle lui vient du dehors, il prie Dieu de lui donner plus de foi. Mais le sujet politique n’a personne à prier. La vertu politique est ce qu’un chrétien appellera le péché de la superbe. Dit de manière profane, la pratique politique est mue non par la Grâce, mais par la bonne volonté, celle de changer la vie actuelle.

L’art est le modèle vivant de la possibilité d’un tel changement. C’est pourquoi on ne devrait pas commettre la confusion des vecteurs religieux et politique, l’un et l’autre capables de définir une stratégie créative individuelle ou collective de l’artiste ou d’un groupe d’artistes. L’art peut créer des icônes ou les détruire. Le premier est l’art religieux, le second l’art politique.

C’est ainsi que l’apparition même de l’avant-garde a marqué le point où l’art, en abandonnant sa vocation d’abord religieuse et rituelle, trouve sa conscience politique. La première moitié du XX siècle a ouvert des perspectives de politisation impétueuse de l’art, et il n’y avait que la vaste structure institutionnelle qui puisse retenir cette politisation, limiter ses effets et faire revenir l’art dans sa fonction religieuse, par la voie de la canonisation et de la ritualisation réitérative de l’activité politico-artistique. Le système de l’art contemporain comme secteur particulier du marché mondial a produit des stratégies de fétichisation des objets d’art, y compris ceux de l’avant-garde et de tout art révolutionnaire et politique.

Bien entendu, le système de l’art contemporain est assez séculaire, au point que la forme esthétique ne renvoie plus à la totalité infiniment supérieure de la présence de Dieu ; elle prétend se suffire à elle-même, être indépendante de toute instance extérieure, qui aurait été compétente à définir son sens et sa valeur. Le souci d’autonomie de la forme paraît être un chemin de liberté, mais sur ce chemin-là on peut rencontrer des traces très étranges.

Il y a deux ans, au printemps 2008, la grande exposition intitulée « Traces du sacré » avait lieu au Centre Pompidou. Elle exposait des œuvres de presque tous les artistes connus, de même que des écrivains, des philosophes et des musiciens du Romantisme de XIX siècle jusqu’à nos jours. Selon la conception de l’exposition, la sécularisation a libéré des artistes de l’Église, mais pas de l’interrogation métaphysique du sens et de l’essence de l’être. De Goya à Kandinsky, de Malevitch à Picasso et de Newman à Viola l’art ne cesserait pas de témoigner de quelque chose de l’au-delà.

A cet égard, l’art moderne, qui, vous savez bien, est passé par le marxisme, la psychanalyse et d’autres pratiques d’athéisme radical, ne faisait qu’imaginer de nouvelles formes d’expression de la relation du sujet à cet au-delà invisible. Entre l’époque romantique et le temps présent, il y a une tradition continue du maintien du sacré dans des conditions profanes : telle était l’idée principale de cette exposition à Paris ; et elle n’est pas le seul exemple de collaboration dissimulée entre la religion et l’art contemporain. Ainsi, parmi de nombreux projets, on trouve la Biennale à Singapore en 2006 intitulée «La foi», de même que la grande exposition« Je crois » à Moscou en 2007.

« Je crois » était très emblématique de la situation russe, parce que, cinq ans avant cet événement, une autre exposition intitulée « Attention ! Religion ! » a été vandalisée par un groupe d’orthodoxes russes. Les organisateurs d’« Attention ! Religion ! » ont été persécutés et subissent un long et humiliant procès ; il est donc évident que dans une prétendue situation d’absence de censure officielle, le pouvoir peut contrôler la scène artistique par le biais de l’Église orthodoxe. Dans ce contexte, l’exposition « Je crois », qui a lancé des slogans de positivité et d’absence de critique, doit être interprétée comme une preuve de loyauté de la communauté artistique russe à l’égard du pouvoir.

Mais cette histoire est seulement la version locale d’un symptôme commun, décrit déjà par Nietzsche dans « Humain, trop humain ». Selon la pensée de Nietzsche, l’art lève la tête quand les religions tombent en décadence. Les Lumières ont ruiné les dogmes religieux, mais les sentiments religieux sont passés dans le domaine de l’art.

Bien sûr, ni ce que Max Weber a défini comme le Désenchantement du monde, ni ce que Hegel et Nietzsche ont nommé la Mort de Dieu ne sont hors sujet aujourd’hui. Il est évident que ni l’un ni l’autre ne sont achevés. Il semble que le monde ne soit pas définitivement désenchanté ou désensorcelé ; après la mort de Dieu, le spectre reste. Ce dernier voudrait régner, mais il y a un autre spectre, le spectre du communisme, auquel le spectre de Dieu mort doit faire face. L’art contemporain devient alors une sorte de champ de bataille. Je veux dire que c’est la guerre entre ces deux formes d’existence spectrale, mise à jour par les deux formes de la critique du capitalisme.

Des croyants réagissent au capital de leur point de vue. Ils se demandent s’il y a un lieu pour la spiritualité dans notre société saturée par le matérialisme, le rationalisme, le marché, la consommation, etc. Ils connaissent la réponse d’avance : bien sûr qu’il y a un lieu, et c’est l’art précisément qui occupe cette place privilégiée. Pourtant, il n’y a pas de contradiction entre le spirituel et le monde marchand : d’une part, la consommation est une pratique assez spirituelle ; d’autre part, le capitalisme comme tel a beaucoup à voir avec la religion.

Nous rappelons-nous le premier chapitre du « Capital », où Marx compare une marchandise à un être humain ayant corps et âme ? La valeur d’usage est le corps d’une marchandise, tandis que la valeur, c’est-à-dire la valeur d’échange, est l’analogue de l’âme. « Les valeurs d’usage, toile, habit, etc., c’est-à-dire les corps des marchandises sont des combinaisons de deux éléments, matière et travail », et, par contre, “par un contraste de plus criants avec la grossièreté du corps de la marchandise, il n’est pas un atome de matière qui pénètre dans sa valeur”. Mais cette « âme » immatérielle prétend être la nature et l’essence même de l’être humain ou d’une marchandise, en vertu de sa correspondance à l’équivalent universel.

Marx donne une voix aux marchandises, et les marchandises parlent la langue humaine : « notre valeur d’usage peut bien intérresser l’homme; pour nous, en tant qu’objets, nous nous un moquons bien. Ce qui nous regarde c’est notre valeur. Notre rapport entre nous come choses de vente et d’achat le prouve. Nous ne nous envisageons les unes lеs autres que comme valeurs d’échange ».

Donc , les marchandises parlent la langue de la valeur ; c’est ce que Walter Benjamin a appelé « I‘esprit qui parle par l’ornementation des bank-notes ». Mais cet esprit des bank-notes ment. « C’est seulement un rapport social déterminé des hommes entre eux qui revêt ici pour eux la forme fantastique d’un rapport des chosеs entre elles. Pour trouver une analogie à ce phénomène, il faut la chercher dans la région nuageuse du monde religieux. Là les produits du cerveau humain ont l’aspect d’êtres indépendants, doués des corps particuliers, en communication avec les hommes et entre eux. Il en est de même des produits de la main de l’homme dans le mond marchand». Voilà ce à quoi Marx donne le nome de fétichisme.

Quelque chose nous dit que la production de valeur arrache une marchandise à son origine, qui est une combinaison de matière et de travail. En un sens, la valeur fait oublier la matière et le travail d’une marchandise. Et nous-mêmes, aussi, les oublions, dans la mesure où le capitalisme moderne localise des représentants de valeur, des marques de commerce, très loin de la production réelle des corps-marchandises.

C’est pourquoi je parle de l’oubli du travail par le Capital. Prenons par exemple les discussions populaires sur la prétendue disparition du travail matériel, comme si le travail pouvait se récuser simplement de ce monde glorieux de la consommation. Voilà un des effets d’une inversion idéologique imposant la supériorité de la catégorie de valeur sur la catégorie de travail, ainsi que la supériorité de la classe des consommateurs bourgeois sur la classe des vrais producteurs, des ouvriers, de même que la religion impose la supériorité de l’âme sur le corps. La supériorité de la forme sur la matière est quelque chose du même ordre.

Dans son livre consacré à Heidegger, en analysant le phénomène de la consommation, Frédéric Neyrat renvoie à la doctrine aristotélicienne des quatre causes, soit les causes formelle, efficiente, finale et matérielle. Il attire notre attention sur une sorte d’inégalité entre les quatre causes. À savoir, la forme active domine sur la matière passive, qui existe seulement pour prendre quelque forme, c’est à dire pour être formée. Une telle inégalité constitue une partie de la tradition philosophique idéaliste.

Le capitalisme moderne, avec son impératif de consommation, donc, à la limite, de la consommation non seulement des produits, mais aussi de l’être lui-même, pousse cette tendance à l’extrême, jusqu’à ce que Neirat nomme l’oubli de la matière. Le système de la consommation exige toujours plus de formes nouvelles, poussant la matière vers la mise en forme permanente, au point que la matière devient de plus en plus amorphe. Quelques briquettes indifférentes, d’une substance indéfinie ; la matière se conforme à la forme de la marchandise en abandonnant sa force propre, la résistance des matériaux.

La forme est donc une certaine volonté de puissance, qui prétend être autonome, c’est-à-dire indépendante tant de la matière que du travail. Vous savez bien que deux choses de même texture, produit par la même dépense de main-d’œuvre, mais de deux marques différentes, ne coûtent pas la même chose. Il importe peu si la marchandise est faite d’or ou de plastique, de papier ou de fer, il importe peu que le processus de sa production soit compliqué ou non. La forme de la marchandise tend à la condition pure de la valeur, de la spiritualité monétaire, comportant l’existence posthume de l’objet sublimé de religion dans la société capitaliste moderne.

Dans le monde de l’art, la dictature de la forme est ambiguë. D’une part, c’est la supériorité de la forme de la marchandise, soit le fétichisme de la marchandise ; d’autre part, c’est l’impératif de l’autonomie de l’objet de l’art. En Russie, l’amour de la forme esthétique vient d’emblée quand des artistes se sentent déçus par les possibilités de l’action ou de l’affirmation politique. Le capitalisme nous a trompé et s’est approprié notre culture de protestation, – disent des lecteurs russes de Badiou, Adorno et Grinberg. Ils exigent que l’art échappe tant à l’industrie culturelle qu’à la politique, qu’il détache sa propre vérité de la réalité extérieure, idéologique ou politique, afin d’empêcher son instrumentalisation.

Nous nous heurtons ici aux choix paradoxaux, qui touchent la question du rôle de l’artiste dans la société. En caractérisant les relations entre l’art et la vie, il faut éviter deux extrêmes – d’un côté, l’idéeambitieuse du déploiement de l’art par ses propres lois intérieures et sa propre logique immanente, sans tenir compte du contexte, d’un autre côté, l’explication de tous les faits de la vie artistique par sa dépendance directe à la conjoncture. Au cours du développement du capitalisme en Russie, ces deux extrêmes s’affirment comme les deux directions et intentions principales de la part de la communauté artistique la plus portée vers la pensée.

Il y a plus de dix ans que le débat esthétique en Russie se fait une obsession de la contradiction, imaginaire, entre l’art prétendu autonome ou pur et l’art engagé ou politique. Les adeptes de l’autonomie prétendent à une suffisance absolue de l’œuvre et affirment que les artistes ayant des ambitions politiques finiront dans la dégradation esthétique. À l’opposé, des adhérents de l’art socialement actif dénoncent l’idéalisme ou le conformisme de leurs opposants.

Il faut dire ce qui est, je ne suis pas tout à fait neutre dans ce débat, et mes considérations se fondent partiellement sur mon expérience personnelle. Je suis membre du groupe « Chtodelat », qui comprend des artistes, des théoriciens, des littérateurs et des critiques, et qui tend à combiner la pratique artistique et la théorie avec le militantisme politique. Quand notre collectif est apparu et a fait son entrée sur la scène artistique russe, nous avons été blâmés par le milieu artistique our notre soutien ouvert au discours et au programme de gauche. Comme si l’intervention politique vouait l’art à l’existence non intrinsèque ; comme si la politique n’était qu’un mode de limitation de l’art, tandis que l’art posséderait sa propre plénitude et sa propre liberté en soi même ; comme si la liberté était la vérité inaliénable de l’art comme tel, la vérité qui serait exprimée dans une forme pure.

En réalité, la vérité se trouve au milieu. L’art est autonome, sans doute, mais son autonomie est le produit de la non-liberté fondamentale, en face de laquelle un artiste est extrêmement vulnérable. C’est cette non-liberté qui est la première condition de son travail. Un artiste peut résister au système présent ou le servir, mais tant du point de vue de sa résistance que de celui de sa servilité, il ne cesse de subordonner son expérience quotidienne aux lois de la perception esthétique.

Il établit ces lois lui-même pour violer la réalité. L’art est vraiment autonome dans le sens où il établit sa propre loi en soi même et pour soi-même ; mais cette souveraineté puise l’énergie ses forcesproductrices dans la relation, et pas dans l’absence de relation. Sa source est hors de lui, dans le monde matériel, pour lequel un artiste choisit une clef formelle.

Donc la liberté de l’artiste est en faisant l’expérience de la non-liberté et à lui donner la forme. Une expérience vécue peut être religieuse, politique, sociale, existentielle, sexuelle, etc. Mais si sa forme modifiée nous impose ensuite une espèce de transcendance supposée au-delà de lui, le jeu de l’art a échoué, parce que dans ce cas la forme est comme une coquille, à l’intérieur de laquelle quelque monde se meurt sans être né.

Les appels à l’idée d’autonomie, interprétée par méprise comme authenticité et pureté de la forme à l’opposée de la matière brutale du monde, installée dans la saleté politique et économique, sont cependant le véritable piège, puisque par cette voie l’art effectue en soi même et contre soi-même l’opération répressive de « se tenir à sa place». Un tel art correspond plutôt à l’éternité et l’espace qu’à l’histoire et au temps. Il en résulte une surproduction de spatialité dans le domaine culturel et artistique. Tout le monde cherche de l’espace, qu’il soit un espace autre, un espace alternatif, un espace autonome et, finalement, un espace sacré, même si on n’utilise pas ce nom.

Par ailleurs, dans le capitalisme, le temps, surtout le passé, est traité comme une marchandise parmi d’autres, comme une valeur. Il est passible d’une sorte d’inventaire total. Ainsi, on peut observer le processus de la privatisation du passé, quand on sépare le bon grain de l’éternité de l’ivraie de la révolution, en imposant un sens et une valeur non-historique à l héritage des avant-gardes. C’est la logique de pouvoir, qui prétend perpétuer le statu quo, s’immortaliser soi-même, en finir avec l’histoire, en se déclarant le dernier héritier du passé, le seul propriétaire de l’archive.

En ces circonstances peut-on ne pas se rappeler Sur le concept de l’histoire de Walter Benjamin: les vainqueurs participent au défilé triomphal, où les maîtres d’aujourd’hui foulent aux pieds ceux qui sont déposés. Traditionnellement, des trophées, des trésors culturels, sont portés en ce défilé (VII). Et tout art devient des icônes, des produits de luxe et des trophées pour des puissances.

C’est justement le cas quand il nous faut nous tourner vers l’autre être spectral, c’est-à-dire le spectre du communisme. Le spectre de l’avenir qui encore n’avait pas son heure, il habite dans le passé comme dans une maison à l’abandon. Oublier l’espoir communiste caressé par les générations précédentes veut dire fermer la porte une fois pour toutes, les laisser mourir une seconde fois et définitivement.

Dans la pensée de Benjamin, toute image du passé méconnue par le temps présent comme sa propre image est sous la menace d’une disparition irrétractable (V). Il nous fait ressentir la nécessité urgente de sauver le passé par une sorte de pacte secret. Le passé, pour Benjamin, demande notre pouvoir faible messianique. Il attend toujours notre assistance, et à tout instant nous donne la chance de nous reconnaître dans ses images.

Ainsi, pour parler des avant-gardes, nous ne pouvons pas nous reconnaître dans ses images sans partager ses espérances révolutionnaires. Mais chaque fois que le système de l’art contemporain nous donne des valeurs très hautes, en faisant des icônes, nous manquons une chance unique.

Je veux dire que la commodification et la fétichisation religieuse de l’objet de l’art participent au même mouvement d’inertie, ce mouvement éternel dextrorse, de gauche à droite, de l’opposition à la soumission, de la politique à la religion, de la vie à la mort, au mouvement de l’abrutissement, de l’abandon, de l’oubli. Mais qu’est-ce que l’art, sinon la résistance à ce mouvement-la ? La résistance de la matière même, que le travail de l’artiste rend visible ? Qu’est-ce que ce travail, sinon un effort de mémoire ?

La mémoire, voilà le plus important. Pensons aux deux sens du mot « souvenir ». D’une part, le souvenir est un certain objet, une bagatelle, qui doit vous rappeler à quelque chose, ou à une personne, ou à un événement. C’est un objet du passé. Les trophées portés en défilé triomphal de l’histoire des vainqueurs, fussent-ils des icônes ou n’importe quelles marchandises, sont aussi une sorte de souvenir.

Mais souvenir signifie aussi la mémoire, ou ce que Heidegger nomme Andenken, la pensée fidèle. La pensée fidèle comme un effort de la mémoire, résistante ou mouvement d’inertie, de la sacralisation et de la commodifiction. Ainsi, se souvenir des avant-gardes veut dire la fidélité à l’événement de la révolution, en reprenant le mot de Badiou. La pensée fidèle garde une chose du passé, un souvenir, à l’intérieur. Et nous pouvons nous reconnaître dans les images du passé lorsque nous le gardons en nous-mêmes, lorsque nous sommes vraiment, nous-mêmes, des spectres du communisme.